samedi, janvier 21, 2006

En direct de l'Irlande

1er janvier 2006 : l'A320 d'Aer Linghus en provenance de Roissy-Charles de Gaulle se pose en douceur sur une piste ensoleillée de l'aéroport de Cork. Me voici arrivée, au terme d'un voyage qui sera sans doute sans retour.

L'Irlande....... Eire, Erin, mon Eldorado, mon Atlantide à moi.

Presque malgré moi, le rêve de 38 ans s'est transformé en une réalité dans laquelle je me plonge avec délectation, même si je me doute bien que tout ne sera pas forcément rose tous les jours dans cette nouvelle vie que je me suis créée.

Mais comment aurais-je pu imaginer que tout irait si vite ? Envoi d'un CV le 6 décembre à deux agences de recrutement Irlandaises,

quatre entretiens téléphoniques, un aller-retour éclair pour deux rendez-vous sur place le 21 décembre, et deux réponses positives le 23 décembre, sous forme de contrats expédiés par email...

On n'est plus habitué à ça, quand on vit en France, surtout lorsque l'on a 50 ans.

Aurais-je bénéficié de quelque soutien occulte ?

Je n'avais jamais entendu parler de Clonakilty, avant de découvrir sur Internet ce mystérieux cercle de pierres qui m'a tellement fasciné que j'y ai consacré un chapître entier de ma tentative d'écriture,(ie "En direct de l'Atlantide") en septembre dernier. Sous son nom gaëlique Cloch nà Coilte.... D'où j'écris ces lignes aujourd'hui. Pourquoi cet intérêt particulier, alors que tout le sud-ouest de l'Irlande regorge littéralement de menhirs et autres pierres levées ?

J'ai postulé pour ce job sans même savoir qu'il était basé sur les lieux de mon rêve.

Mais ce n'est pas tout. Arrivée sans savoir où j'allais me loger, à part le B&B dans lequel je pensais avoir à rester une ou deux semaines au moins avant de trouver quelque chose, il ne m'a fallu que deux jours pour rencontrer Anne.. Ma jumelle à 12 jours près, qui venait de décider le matin même qu'elle souhaitait trouver une colocataire du même âge... Le fait qu'elle passe une partie de son temps en Espagne n'est certainement qu'une coïncidence de plus ?

Bref, voici aujourd'hui exactement quinze jours que je suis ici, et tous mes papiers sont à jour, je suis l'heureuse propriétaire d'une ravissante bicyclette verte, ainsi que d'une voiture, qui pour ne m'avoir coûtée que ... 350 euros ! - n'en est pas moins extrêmement élégante.

Je connais tout le monde ou presque, j'habite une jolie maison bleue, j'ai un pub attitré, des copains, des collègues, un compte bancaire irlandais et un numéro de sécurité sociale, un nouveau téléphone portable... La mer est à mes pieds, le village est ravissant.. Franchement, que pourrais-je vouloir de plus ? à part la présence de ceux que j'aime et avec lesquels j'aimerais tant pouvoir partager tous ces nouveaux bonheurs.

Ici, les rapports humains sont simples. Pas besoin de nouer des liens d'amitiés pour discuter avec l'un ou l'autre ou se saluer dans la rue. La dernière personne à m'avoir parlé de simplicité - en me reprochant d'en manquer, semble-t-il - ferait mieux de venir ici prendre quelques leçons...

Bonjour. Au-revoir. Merci. Trois mots simples, qu'on entend tout le temps, ici, et dont je me rend compte que j'avais perdu l'habitude. Pas besoin d'en faire des tonnes : besoin d'un renseignement ? d'un coup de main ? il suffit de demander. C'est oui, ou c'est non, mais c'est toujours aimable.

En contemplant le paysage qui m'entoure, j'ai l'impression de faire partie d'un tableau souvent admiré, mais de si loin... Tout me parait encore un peu irréel... Se souvenir maintenant, car l'oubli de certaines sensations vient toujours trop vite.

Je dois avoir battu pas mal de records de vitesse.. Ainsi s'est conclue une année 2005 complètement folle. 4 trimestres, 4 vies... des faux départs et des vrais retours, de faux retours et de vrais départs... Puis celui-ci, le vrai de vrai ?

Si seulement on pouvait emmener dans ses bagages ceux que l'on aime, et partager tous les bonheurs avec eux. C'est la seule ombre perceptible de cette nouvelle vie. Mon fils, mon père. Eux d'abord, l'un au commencement de sa vie d'adulte, le second... mais non, ceux que l'on aime ne partent pas, ils n'en ont pas le droit.

Et puis mes amies - et mes amis, qui me manquent, et puis d'autres aussi. Certaines souffrances restent profondément ancrées, je les sens présentes, mais je ne veux pas, je ne veux plus les laisser émerger, qu'elles restent donc scellées au fin fond de mon placard intérieur.

Je me revois sur le quai de la gare de Blois, toute seule avec ma grosse valise orange qui contient presque toute ma vie et que j'ai du mal à embarquer dans le wagon. Il est 07:48, et dans le train qui file vers ce nouvel avenir dont j'ai tant rêvé, je me sens déjà une autre.

Dans quelques heures, c'est un avion qui me portera sur la terre de quelques uns de mes ancêtres... L'Irlande, ses eaux vives, ses vertes vallées et ses paysages gris - bleu - rose sera-t-elle heureuse de me recevoir ? Ou me rejettera-t-elle intraitablement vers un destin que je n'envisage plus ?

J'attends tellement de ce voyage. En même temps, j'ai peur que ce premier contact avec un rêve qui me poursuit depuis 38 ans se solde par le même fiasco qui guette souvent la première nuit de deux amoureux transis...

Faut-il croire à un destin écrit d'avance ?

Comment croire à une coïncidence, quand l'un des rendez-vous les plus importants de ma vie m'attend à Clonakilty ?

Clonakilty, Templebryan stone circle.. un cercle de pierres. En direct de l'Atlantide. Chapîtres XIX et XX.

Est-ce que ce départ est une fuite ? Je me suis souvent persuadée que je voulais fionir mes jours en Irlande. Mais aujourd'hui, c'est pour recommencer ma vie que j'ai pris cette décision de franchir le pas.

Curieux.. je crois que je n'aurai jamais autant cumulé les paradoxes en un laps de temps si court...

La perfection d'un départ sans aucune anicroche ni retard, jusqu'à la minute du check in.. Pas de desk Air Lingus, mais à la place, une équipe généraliste française chargée de gérer l'immense file qui se forme progressivement derrière moi.

Puis, après cette longue attente, au cours de laquelle je rencontre un merveilleux couple Français. un embarquement refusé pour une stupide histoire de papiers d'identité... Méandres européens pas toujours bien assimilés : l'Irlande est euro mais pas Schengen, alors que le Royaume Uni est Schengen mais pas euro. Donc passeport valide pour l'Eire, carte d'identité pour la Grande Bretagne.

Bref, commence alors l'interminable bataille pour obtenir une simple prolongation de passeport, pour avoir une place sur un autre vol vers Dublin, et Dublin Cork, à 10h du soir, je fais comment ? et personne pour répondre, aucune certitude, incompétence ou mauvaise volonté des Français ? cachés, perdus derrière leurs paperasses, incapable de communiquer suffisamment bien en anglais pour parler aux autorités à votre place, mais qui se refusent malgré tout à vous passer un interlocuteur au téléphone...

J'en ai marre, de ce pays. C'est dans ce genre de situation que j'oublie ma moitié française pour ne plus reconnaître que mon sang anglo-irlandais. Pratique à l'occasion de la coupe des Nations.. je gagne presque toujours.

Je sais pourtant bien que l'herbe n'est pas plus verte ailleurs et gnagnagna, mais quand même.

C'est toujours amusant, un aéroport, lorsque l'on prend le temps de regarder autour de soi... une véritable ville, avec ses quartiers, ses habitués, ses mauvais coucheurs, ses nouveaux venus, un peu ou complètement perdus, et bien sûr ses enfants qui courent partout.

Il y a nettement deux sortes de passagers : ceux qui en ont un... et les autres. Le petit miracle technologique est dans toutes les (bonnes) mains, produit de petits sons d'oiseau aussi bien que des dongs retentissants... certains sont silencieux, noirs et sérieux, d'autres gris Tour de la Défense.... puis les blancs, les décorés, les écolos... Et bien sûr, les grands et les petits... Bien sûr il ne s'agit plus du téléphone, mais de l'ordinateur portable. Frime, quand tu nous tiens.

Bientôt l'ivresse du départ, comme toujours ce mélange d'angoisse absolue et l'ivresse de la grander roue..

Grande roue de la vie, de la fortune et des amours.

On a fastené off les ceintures, on n'écoute pas l'hôtesse, on attend juste le décollage, l'instant où tout bascule, follement excitant puisque l'on n'y peut rien.. aucune prise sur les évènements, Inch Allah..

J'ai vu un oiseau noir nager dans l'écume des nuages blancs.. Nous avons quitté un monde, nous en avons retrouvé un autre, fait parfois de plusieurs étages, comme un duplex, parfois la mer est si blanche et si plate que l'on imagine qu'elle ressemble l'Arctique qu'on ne connaît pourtant pas. Parfois au contraire, la ouate effilochée fait penser à la quenouille d'une dentellière. Ici, une paroi, tellement éclaboussée de soleil qu'elle semble l'entrée d'un château merveilleux aux contours ciselés et interminables. Puis des vallées et des rias, là des montagnes, des glaciers et parfois des falaises, des tépuis ? des forêts ?

C'est si beau, et si étrange à la fois... Certains de nos ancêtres sont très certainement venus par la voie aérienne, sinon comment aurait-on pu savoir que le paradis se situait dans le ciel ?

La mer devient maintenant très bleu, beaucoup plus bleu, elle circule entre des lagons d'or, et tout se teinte d'ocre.

Après la mer et ses bateaux, me voilà soudain projetée dans les Bardenas, et de nouveau mon coeur s'effiloche comme les nuages.

07/01/06, voilà exactement une semaine que je suis ici.

A 5 degrés près, cela pourrait être le paradis, du moins l'une de ses anti-chambres. C'est bientôt marée basse, la baie de Clonakilty s'assèche peu à peu, et des myriades d'oiseaux colonisent les bancs de sable à mesure que la mer se retire.

Comme dans mes rêves d'Atlantide, et malgré la grisaille persistante à peine dévoilée par les efforts louables du vent pour chasser les nuages, l'eau promène partout ses reflets irisés, bleu, vert, mauve, rose...

Je suis partie au lever du jour, sur ma jolie bicyclette verte.. Le froid est cuisant, il gèle encore, et ce n'est pas si courant ici. J'ai suivi la petite route qui longe la baie de Clonakilty, les étendues de sable encore découvertes explosaient de lumière et de couleurs chatoyantes, les oiseaux étaient partout : petits et grands, sifflant, hurlant, chantant... des hérons, des grues, des oies, des cygnes, des mouettes, ety plein d'espèces dont je ne connais pas encore le nom. Tu adorerais ça, je crois.

Malgré le froid piquant, je m'installe peu à peu dans ma rêverie.

Assise sur la crête d'une falaise à l'orée des baies qui se couvrent et se découvrent au rythme des marées, j'admire ce paysage dont j'ai si souvent rêvé. Curieusement, je n'arrive même pas à m'étonner d'être enfin là, mon ordi toujours aussi blanc et féminin sur les genoux... je pianote, doigts gantés, emmitouflée dans 3 pulls et un coupe-vent. Ma jolie bicyclette verte posée contre un rocher bleu semble toute neuve... Merci Murph'. Nous sommes aujourd'hui samedi, et tout cela est décidement bien surprenant.

J'ai devant moi la mer, et ses vagues qui explosent contre la roche noire et ciselée. De l'autre côté de l'océan, il y a Brigantia,, en Espagne, d'où les celtes pouvaient parait-il apercevoir l'Irlande.

Puis la mer, la grande, la vraie : l'océan... et le soleil semblant surgir du fond des eaux vertes, laissant derrière lui un lac d'or qui s'éternise au milieu de la brume.

Les vagues sont imposantes, et roulent à l'infini sur la grande plage de sable fin, pour la grande joie de quatre surfeurs courageux. Ici aussi, ils attendent LA vague, mais eux sont déjà dans l'eau glaciale, à moins qu'ils bénéficient de la chaleur du golf stream,

Je crois que je passerai la journée ici, entre la pointe glacée, et l'hôtel de grand luxe dans lequel je me suis réfugiée pour avaler un café bien chaud.

On se prendrait bien pour Hemingway, ici.. sauf pour la vieille Remington, remplacée par le joli petit ordinateur blanc qui me suit partout.

Peut-être tout à l'heure verrais-je des phoques, des otaries, des dauphins, des baleines, même ? Les eaux, le ciel et la terre irlandaises semblent être un paradis pour un nombre incroyable d'espèces maritimes et terrestres.

Je me sens bien ici.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je viens de tomber tout à fait par hasard sur votre blog qui me fait rêver. Vous écrivez très bien et l'Irlande nous appparait, vivante, au travers des mots. Moi aussi, je rêve d'y vivre et je commençais à me décourager en survolant tous les forums et en ne lisant que des témoignages de " jeunes ". J'ai 38 ans et votre histoire me montre qu'à tous les âges on peut réaliser ses rêves... Merci

1:33 PM  
Blogger Myriam said...

Je viens de lire votre journal, et c’est très réconfortant. Vous décrivez si bien l'Irlande, si sauvage et hospitalière à la fois. C’était un rêve, votre témoignage le rend accessible.
Je rêve d'y vivre et vous avoir lu m'apporte le courage nécessaire à franchir ce pas. L'Irlande semble être un peu le refuge des âmes en peine, et je ressens le besoin, à 47 ans, de venir m'y réfugier et démarrer une nouvelle vie, bravant les difficultés qui ne manqueront pas.
Merci

12:28 PM  

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