dimanche, janvier 29, 2006

Templebryan Stone Cercle

L'Etrange, je veux dire le vrai, celui qui fait soudain palpiter toutes vos terminaisons nerveuses, m'a repris ce matin, presque par surprise.
Clonakilty est un village absolument ravissant, chargé d'histoire, bordé par la mer, et je m'y sens fort bien. Magie des lieux, bien sûr, mais celle-ci n'est pas chargée de cette... électricité, qui met chaque sens en éveil dans l'attente d'un événement pourtant fort improbable.
Non pas qu'il ne m'y soit pas arrivée des choses curieuses.. des rencontres étonnantes, des coïncidences troublantes, des sensations bizarres : mais je les vois maintenant un peu comme des préliminaires, des préparatifs indispensables à une nouvelle étape.

Aujourd'hui, dimanche 29 janvier, je suis enfin partie à la rencontre de "mon" cercle de pierres. Il m'a fallu 29 jours avant de me sentir prête à... l'affronter ? Ce n'est sans doute pas le bon verbe, tant pis.
Comme si j'avais éprouvé le besoin de me sentir suffisamment ancrée dans ma nouvelle vie pour ne pas perdre pied en le découvrant enfin.
Clogh na Coilte druid's cercle. Le cercle druidique de Clonakilty. En réalité, Templebryan stone cercle. Dans mes rêves étranges, j'y avais fait un rêve encore plus étrange dont je me souviens avec un réalisme étonnant de chaque détail.

Tout se mérite, en Irlande, et le cercle de pierres est situé derrière la haute colline sur laquelle s'adosse Clonakilty. Ma bicyclette et moi nous sommes donc alternativement soutenues au cours des 3 kms d'une route étroite et aussi escarpée que les coteaux de Jurançon, mais sans l'aide de ses lacets... jusqu'à ce que les hautes pierres encore dressées s'offrent à la vue, juste derrière le muret qui en ferme l'accès.

La bicyclette offre ici d'énormes avantages par rapport à la voiture : elle offre d'une part la possibilité de se débarrasser du trop-plein de porridge, et d'autre part celle de pouvoir admirer le paysage et de s'arrêter n'importe où, ce qui est exclu en voiture compte tenu de l'étroitesse des routes.

Propriété privée, je le savais déjà. A travers mes gants, je ressens déjà un grésillement bien connu... il me faut d'urgence trouver le propriétaire des lieux, lui expliquer ma quête, le convaincre de m'octroyer un laisser-passer..
Mais quelle désolation de constater que l'un des plus beaux cercles druidiques d'Irlande soit conservé en plein champ cultivé. Le tracteur a laissé ses traces en passant tout près de l'une des énormes pierres levées. Combien il y en avait-il à l'époque de leur gloire ? le tracé du cercle montre à l'évidence que certaines manquent à l'appel, sans doute purement et simplement fracassées en mille morceaux pour être ensuite utilisées pour la construction d'un mur ou simplement parce qu'elles étaient gênantes.. Parce qu'elles sont sur un terrain privé, les pierres ne figurent sur aucune carte postale : elles sont cependant visible sur http://www.megalithics.com/ireland/tempbryn/tempmain.htm.

Après un moment, je continue donc ma route en direction du hameau tout proche, vers le traditionnel pub : hélas encore fermé.

Une fois dépassé le cercle de pierres, mes premières impressions ne sont pas des plus enthousiastes : des pavillons un peu trop modernes, des fermes, quelques bâtiments en tôle ondulée, des camions et des tracteurs garés un peu partout dans des cours peu rutilantes d'où aboient quelques gentils toutous... et partout, la terre retournée, et des pierres éparpillées ça et là, de toutes les tailles, de toutes les formes. D'où je suis, certaines d'entre elles semblent.. "différentes". Le sont-elles ? Mon coeur se serre à la vue de ce paysage qui a du être tout autre voilà quelques milliers d'années, et certainement couvert d'arbres jusqu'à l'arrivée des Anglais.

Pourtant, dans cet endroit infiniment moins joli que Clonakilty, je ressens à présent toute l'émotion que j'étais venue y chercher.

Puis j'arrive à un pont, un très beau et très vieux pont de pierres, sous lequel coule une rivière enchantée dont je ne connais pas encore le nom. Le miracle se produit, il y a un accès à sa rive herbue bordée de roseaux, et mieux encore, une énorme chêne moussu, dédoublé à sa base, qui tend d'immenses branches encore dépourvues de feuilles en direction d'une cascade délimitée par des blocs de pierres. Personne à la ronde, à part les oiseaux qui chantent le printemps à venir dans les rayons caressants du soleil... Assise sur petit muret sous l'arbre sacré, j'oublie tout le reste et ne vois plus que les arbres, l'herbe, les pierres, le ciel. Il faudrait aussi que je puisse oublier que l'Homme est un destructeur né et un prédateur impitoyable, mais c'est plus difficile. Mais après tout, une fois l'Homme parvenu en ces lieux, il fallait bien qu'il s'y fasse une place, planter et cultiver pour nourrir sa famille..


Toutes sortes de sensations bizarres m'envahissent, maintenant, sans que je puisse les décrire, ma tête me fait mal, j'en pleurerai presque. Pour me détendre, j'ai sauté à bas du muret pour aller contempler l'eau de tout près, avant de retourner m'asseoir, ordinateur en équilibre sur les genoux.. mais peine perdue, mon corps n'est plus qu'un courant électrique, je suis aux aguets.. mais que pourrais-je bien attendre ?

Fermer l'ordinateur, reprendre la bicyclette, aller à la rencontre des gens et des lieux, chercher peut-être à me loger ici ? Anne, ma co-locataire est adorable, un cadeau du ciel.. mais tôt où tard, je sais que j'aurai besoin d'un endroit tout à moi, aussi petit qu'il puisse être. Le moment est peut-être venu : Pourquoi pas ici ?

Le pub est ouvert, la discussion s'engage, et j'en ressors nourrie d'une demi pinte de Guiness et d'informations diverses : j'ai à présent le nom de l'heureux propriétaire des pierres levées de Templebrien ou Templebryan - pas d'orthographe définie, semble-t-il - et quelques adresses de loueurs éventuels, tout est bien. Je ne veux pas aller plus avant dans ma quête aujourd'hui, peut-être pour savourer lentement l'intensité de chaque moment... cette fois encore, je laisserai faire le destin.