dimanche, octobre 22, 2006

Octobre, déjà!

Dimanche 22 octobre 2006

Voilà précisément 10 mois et 22 jours que je vis dans le pays de mes rêves d'enfant. Après le bleu de l'hiver, j'ai connu le jaune du printemps et le rose de l'été, et me voilà déjà dans les rousseurs de l'automne... les jours se sont succédés à une vitesse affolante.

L'Irlande est un pays magique, qu'importe le temps - qui a été superbe cet été, après un printemps plutôt.. humide. Mais au pays du vent, les nuages s'en viennent et s'en vont à une allure record, la pluie et le soleil sont des complices de longue date et sont les ingrédients complémentaires d'une palette de couleurs inimaginables ailleurs.

Peintres, poètes, écrivains en mal d'inspiration, c'est ici que vous devriez venir vous ressourcer, pas dans les îles lointaines toujours égales à elles-mêmes.. le sublime finit toujours par lasser.

Les premiers préparatifs de Noël commenceront bientôt, dès le lendemain d'Hallowe'en, fête celtique, Irlandaise et donc européenne s'il en est, n'en déplaise à ceux qui savent tout sur tout et s'imaginent qu'il ne s'agit que d'un canular made in USA.
J'ai acheté ma citrouille, comme tout le monde, et demain je me procurerai un sac de bonbons pour les petits diables qui se laisseront prendre à sa lumière. De la chair orangée je ferai la meilleure des soupes d'automne avant de me déguiser en vieille sorcière, n'ayant plus vraiment l'âge (hélas) de jouer la fée Clochette.

La fête sera partout, la semaine prochaine. Chaque village réunira ses anciens et ses enfants, ses adultes et ses adolescents, ses sportifs et ses invalides, ses célibataires et ses couples, pour l'un de ces rassemblements chaleureux dont les Irlandais semblent avoir le secret. Comme d'habitude, on dansera et on rira, on chantera et on boira sûrement un peu, et on se tiendra chaud, à l'abri des ondées et du vent. Et on se sentira plus fort de faire partie d'une communauté qui semble encore attacher de l'importance à chacune de ses composantes.

Mais cela n'arrive pas que le soir d'Hallowe'en.. ici tous les prétextes sont bons pour se retrouver. Festivals divers, anniversaires, communions.. tout le monde se retrouve régulièrement au pub local, après avoir participé aux préparatifs. Et c'est sans compter les "stations", où un prêtre est invité à dire la messe dans une maison que l'on nettoie, rénove et repeint pour l'occasion, où l'on fait cuire des masses de pains, de tourtes et de gâteaux pour nourrir le quartier, invité au rituel et aux libations qui suivront.

J'emploie le terme de quartier, il s'agît plus peut-être de l'équivalent des "lieux-dit" français. Il faut survoler la France et l'Irlande par temps clair (pas évident!), ou se souvenir de nos campagnes d'il y a 50 ans pour en comprendre l'importance.
Et se souvenir que la République d'Irlande compte moins de 5 millions d'habitants, Dublin compris, soit au total l'équivalent de Paris intra-muros. A de rares exceptions près, les maisons ne sont pas regroupées au sein de villages, avec des places, des rues et des numéros sur les portes: elles sont au contraire extrêmement disséminées sur l'ensemble d'un territoire dont chaque portion est rattachée à un "lieu-dit" ou quartier, lui-même souvent rattaché à un hameaux, lequel fait partie d'un village. Nous avons d'excellents facteurs en Irlande! Mais mon adresse est un casse-tête pour ceux qui m'écrivent.. (6 lignes, en plus de mon nom).

Difficile de parler des maisons sans évoquer le réseau inextricable des routes qui les relient... Il n'y a pas une seule carte routière, même d'état-major, pour les indiquer toutes. Et pour cause, de nouvelle maison en maison nouvelle, fièrement implantées au milieu des champs et des collines, les petites routes creusés par les "bâtisseurs" se surajoutent en permanence aux anciennes.
Le vrai bonheur, ici, est d'avoir le temps de se perdre au milieu de nulle part pour le plaisir d'emprunter l'une de ces délicieuses routelettes qui serpentent allègrement dans un dédale de buissons d'ajoncs et de fushias, en priant le ciel pour ne pas avoir à croiser un autre illuminé ou un tracteur, s'arrêter pour laisser passer un convoi de vaches ou le mouton sorti de son pré, puis de se retrouver éperdu de bonheur en haut d'une colline, entre ciel et mer...

Ici, sorti des routes principales - et encore! - on se perd tout le temps, et on ne se perd jamais. Les routes finissent toujours par vous amener quelque part, et les panneaux coulissants sur leur poteaux arrondis indiquent généralement la direction du dernier coup de vent...
Et il est totalement déconseillé de demander le nombre de kilomètres entre deux lieux. On compte en temps, jamais en kilomètres. De toutes façons, une partie des panneaux étant encore en miles, personne ne vous donnera la même distance.

Difficile de survivre en Irlande sans une voiture. Ma jolie bicyclette dort dans un hangar, je la regarde souvent avec nostalgie en me promettant régulièrement de l'emmener de nouveau pour une de ces ballades magiques de mes débuts irlandais. Mais les routes irlandaises sont décidément bien dangereuses.. le nombre de morts dépasse ici l'entendement.

Serai-je en voie de devenir totalement agoraphobe? Dès que je le peux, je fuis mon village de Clonakilty, et file vers le bonheur absolu la péninsule de Béara. Presque ignorée des touristes, fussent-ils Irlandais, Béara s'étend en une longue avancée montagneuse à l'ouest de la route qui va de Glengariff à Kenmare. La montagne et la mer, les arbres et les pierres: Béara est mon paradis irlandais par excellence. L'envoûtement commence réellement dans la Healy Pass, un col creusé dans le roc au siècle dernier, au moment de la Grande Famine, mission meurtrière ayant occasionné la mort de centaines d'ouvriers chargés de sa construction.

Il faut prendre la Healy Pass par le côté County Cork: la route extrêmement sinueuse est le domaine des moutons, qui se couchent volontiers la nuit sur l'asphalte. Le paysage tourmenté est splendide, et les voitures peu nombreuses, heureusement pour les nerfs du conducteur. Lorsqu'enfin on arrive au sommet, accueilli par le calvaire blanc qui veille sur la vallée, c'est un spectacle à couper le souffle, même par mauvais temps. L'impression de plonger directement dans la mer. Loin en arrière-plan, des montagnes bleues; Puis soudain la descente, et la découverte d'un lac au couleurs changeantes, qui se perd vers la mer,
des îles, un ringfort, des buissons de rhododendrons, puis les lacets grisés de la route qui longent des à-pics à peine délimités par des murets parfois minuscules: nous sommes dans le Kerry.

En bas, sur la route qui mène vers Castletownbere, il y le "pas chez-moi" que me prêtent si généreusement un couple d'amis, ma retraite favorite dont je ferais facilement mon lieu de vie si je pouvais travailler dans le coin.
Mais je sais qu'un jour j'habiterai sur Béara.

Voilà... Bilan de ces derniers mois? Rien que du bonheur, même si je hais mon job actuel, mais j'en changerai bientôt.
Ceux que j'aime, et que j'ai laissé en France me manquent, c'est certain. Ma famille, surtout, dont j'aimerai si souvent qu'elle soit là avec moi. Et mes amis, bien sûr. Reste que j'ai également trouvé des amis ici, et même un peu plus.
On ne peut jamais jurer de rien, c'est au moins quelque chose que j'aurai appris avec l'âge. Mais je ne me vois pas partir d'Irlande de sitôt...

Comme quoi on peut tout recommencer après 50 ans...